Les pères, les fils et l’esprit de sacrifice.
A 9 H 30, le Maréchal marchait seul dans la plaine
de Lupin, se désespérant de ne pas voir arriver Grouchy…et
les autres Voltigeurs. La furieuse bataille prenait
déjà du retard…Et, le ciel oscillait entre les bourrasques
et les éclaircies, les nuages et quelques rayons de
soleil, indécis jusqu’au bout.
C’était un match de fin d’année, de fin de saison,
un match de revenants et de cacochymes, de vieille garde
et de grognards à la rancune tenace, à l’honneur intact
et aux cœurs vaillants. Rien d’impossible mais quand
même, faut pas pousser.
Les 15 puis 16 puis 15 Voltigeurs puis 14 puis 13
contre des barbarians jeunes et bigarrés ont réussi
à former une improbable équipe sortie de nulle part :
avec une deuxième ligne imposante composée de la Valise
et l’Aviateur, on aura tout essayé. On aura dépassé
nos limites, à tel point qu’on aura même esquinté notre
fournisseur officiel de bière, Fred, et notre fournisseur
officiel de secours, Pimpon.
Comme d’habitude, quelques prises de bec entre avants
et arrières, entre gazelles et entre gros : rien d’excessif,
mais bon, « le souffle qu’on utilise à parler manquera
pour la course » comme dit un proverbe burkinabé. Alors,
inéluctablement, comme la chèvre de Monsieur Seguin
qui se battit jusqu’à l’aube, à force de replacements
un peu lents, de quelques plaquages ratés, et malgré
les encouragements « au soutien ! », le score s’alourdit :
3-0 à la mi-temps contre le vent, puis 5-0 au final
et sans remplaçants, mais avec le sentiment d’avoir
eu raison de sacrifier les courses du samedi matin avec
maman pour cette défaite, hésitante entre maladresses
et fierté. Douche froide pour tout le monde : pour les
uns sur le terrain et pour les autres au vestiaire.
C’est à ces riens, ces signaux faibles qu’on apprécie
de jouer tout ou partie de ces matchs, pour s’engager
et s’amuser, se faire mal pour se faire du bien, pour
retrouver l’envie d’avoir envie … et une bonne partie
de gifles de temps en temps parce l’adversaire a maltraité
un trois-quart ou nous a manqué de respect.
Ces petites raisons qui donnent envie de revenir
pour une dernière fois, d’en profiter encore un peu
et de reculer l’horloge biologique qui indiquera le
moment fatidique où les crampons resteront, enfin, dans
un vieux sac à l’odeur de camphre et de terre de bruyère,
comme un trésor oublié au fond de la cave
Alors, on fera une dernière année à jouer contre
ceux qui pourraient être mes fils et leur montrer que
le rugby c’est non seulement l’attaque mais aussi la
défense, non seulement le placement mais aussi le replacement,
non seulement la technique mais aussi la volonté, non
seulement les critiques mais aussi la solidarité. Et
on se réinscrira rapidement pour continuer à courir
après le temps qui passe.
Tex
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